Le professeur Sadek Benkada, historien et chercheur au Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle (CRASC), se souvient bien de cette journée exceptionnelle : "le 19 mars 1962, vers midi, un avion a survolé la ville d’Oran et ses environs, notamment M’dina Jdida, pour lâcher de milliers de tracts. C’était la proclamation du cessez le feu, après la signature, la veille, le 18 mars, des Accords d’Evian".
"Les Algériens se sont précipités pour ramasser ces tracts et y ont découvert la proclamation du cessez-le-feu, première mesure entrant en vigueur après la signature des Accords. La joie, soudaine, se lisait sur tous les visages, accompagnée d’un immense et profond soulagement, car cela annonçait la fin d’une guerre exsangue qui a duré près de huit années et une occupation de 132 ans et c’est pour cette raison que le 19 mars est appelé la fête de la victoire", ajoute le même universitaire.
Pour lui, "le sentiment ressenti alors était indéfinissable chez tous les oranais" mais, a-t-il ajouté, "cette joie et ce soulagement ont été tempérés par la crainte des attentats des ultras de l’OAS, perpétrés à Oran, car environ 20 jours auparavant, le 28 février 1962, un attentat à la voiture piégée a ensanglanté Tahtaha, la place publique du quartier de M’dina Jdida". Cette crainte s’est d’ailleurs vérifiée après le 19 mars, l’OAS a redoublé de férocité. Les attentats, les assassinats et les exécutions sommaires se sont multipliés à Oran, faisant des dizaines de morts et de blessés, et ce durant les mois qui ont suivi et jusqu’à la fin juin.
Sadek Benkada souligne, à ce propos, que "ceux qui ont vécu les affres du colonialisme et des attentats de l’OAS peuvent comprendre ce que le 19 mars signifie pour eux et pour le pays tout entier". La veille déjà, la signature des Accords d’Evian et la libération, dans la nuit du 18 au 19 mars 1962, des cinq figures de la Révolution, détenues à Aulnoy, ont suscité le bonheur des algériens. Les Oranais, collés à la radio suivaient de près tous les événements et tous les épisodes et les derniers développements des négociations d’Evian.
Terroriser pour saboter les accords d’Evian
De son côté, Amar Mohand Ameur, historien et chercheur au CRASC, rappelle, dans une déclaration à l’APS, que "les oranais, comme tous les algériens, ont très bien accueilli la proclamation du cessez le feu, le 19 mars 1962 à midi, comme stipulé dans les accords d’Evian dans le premier point, signés la veille. C’était la fin de la guerre, mais ils se sont abstenus de faire de grandes démonstrations de joie par crainte des attentats, des exactions et des intimidations de l’OAS, très bien implantée à Oran et, en général, dans les grandes villes du pays". Amar Mohand Ameur a ajouté qu’à l’époque "l’OAS se considérait comme un Etat au sein de l’Etat et que l’armée française était une force d’occupation et ne voulait pas en démordre. Les algériens la craignaient car cette organisation a déjà fait montre de ses visées, à travers les attentats et les assassinats. C’est pour cette raison que dans les grandes villes, les démonstrations de joie étaient réfrénées de peu de nouveaux attentats et de la vengeance des ultras".
"Ailleurs, en l’occurrence dans les zones rurales et dans le maquis, dans les rangs de l’ALN, les démonstrations de joie étaient plus prononcées", a-t-il ajouté. L’historien et chercheur Mohand Ameur souligne que "le cessez le feu a été une victoire pour le FLN, car malgré la force de la France et sa puissance, le FLN n’a cessé le feu qu’après un accord global garantissant l’autodétermination des algériens, une autodétermination qu’ils allaient voter à l’unanimité le 1er juillet 1962, lors du référendum sur l’autodétermination". Concernant le cessez-le-feu à Oran, l’historien a indiqué qu’"Oran constituait un cas particulier", car l’OAS, après le 19 mars, a redoublé de férocité, perpétrant des attentats sanglants et des assassinats, ainsi que des intimidations envers les oranais. "L’OAS voulait, à travers ces actes, saboter les accords d’Evian", a-t-il souligné.
Une journée particulière
Cette journée du 19 mars 1962 reste gravée dans la mémoire des oranais. Hadja Mansouria, 81 ans, se souvient bien de ce jour si particulier. "Mon père est entré précipitamment à la maison, tenant à la main une feuille de papier. Il hurlait presque : c’est le cessez-le-feu, la guerre est terminée. Nous n’y croyions pas, mais après quelques instants nous avons entendu les you-yous des voisines et nous nous sommes lancées, nous aussi, à tue-tête".
"Néanmoins, nous nous sommes tues rapidement, car nous avions peur de l’OAS, d’un autre attentat comme celui du 28 février. Mais nous sommes rattrapé le 5 juillet, le jour de la fête de l’indépendance", ajoute-t-elle, a vec émotion.
De son côté, S.Bouzid, raconte les événements de la journée du 19 mars. "J’avais 10 ans. Nous habitions au quartier des Mimosas, près de la cité Petit, j’étais avec les gosses du quartier, c’était presque l’heure du déjeuner lorsque nous avons vu de milliers de feuilles de papier qu’un avion lançait. Nous avons ramassé plusieurs exemplaires et nous remarqué que nos voisins, les adultes, commentaient ce qu’il y avait d’écrit sur les feuilles et là nous avons compris que la guerre était finie, alors nous nous sommes précipités, chacun de nous, vers la maison et, en cours de route, nous avons entendu des you-yous dans les maisons par lesquels les femmes exprimaient leur joie". "Tous les voisins ont préparé du couscous et des gâteaux traditionnels qu’ils ont distribué aux plus démunis. C’était une journée que je n’oublierais jamais", ajoute-t-il.
Le 19 mars 1962, les journaux locaux et nationaux annonçaient le cessez-le-feu, la fin de la guerre et du colonialisme : "Cessez le feu à midi dans toute l’Algérie", c’était le titre le plus usité.
Les carnages de l’OAS n’ont cessé que le 5juillet à Oran au cours duquel, les oranais comme tous les algériens fêtèrent avec faste l’indépendance du pays. Le peuple algérien a payé un lourd tribut en vies humaines.
Le défunt Réda Malek notait da ns son ouvrage "L’Algérie à Evian" que les pertes furent colossales. Il souligne à ce propos : "Le mois de mai marque l’apogée des crimes de l’OAS. La capture de ses têtes de file les plus connues l’accule à la politique de terre brûlée. Désespérant d’instituer une république de type sudiste, qui consacrerait la partition du territoire national, l’ultime carré d’irréductible conçoit le projet fou de ramener l’Algérie à sa situation d’avant 1830".