Evénement charnière, entre le coup de semonce (Novembre 1954) de la lutte armée pour la libération du pays une année auparavant dans les Aurès et le cimentage de l’acte fondateur de l’Etat algérien une année après en Kabylie (Congrès de la Soummam 1956), l’insurrection du Nord-constantinois, un 20 août 1955, est sans conteste le coup d’éclat majeur et sans précédent qui vit l’entrée sur la scène de l’Histoire les opérations des fidaï popularisant à jamais la glorieuse Révolution algérienne. Intervenant dans un contexte marqué par une répression aveugle du colonisateur français envers la population et les moudjahidine retranchés dans la région des Aurès, dans l’Est du pays, les attaques du 20 août 1955 du Nord-constantinois, dont l’un des objectifs était de desserrer l’étau sur cette région, a insufflé un second souffle à la Révolution naissante de Novembre 1954.
Orchestrées sous l’impulsion de Zighoud Youcef, commandant de la Wilaya II historique après la mort de Didouche Mourad le 18 janvier 1955, les opérations menées dan s la région de Constantine-Skikda-Guelma, représentent "une date phare dans l’Histoire de la Révolution pour la libération du pays," se souvient encore Mohamed-Salah Lakher, 88 ans, membre des premiers groupes de choc de fidaï et militant actif de l’organisation du FLN à Constantine sous la houlette du chahid Messaoud Boudjeriou.
L’esprit toujours alerte, 65 ans après ces évènements, ce bientôt nonagénaire qui a entamé son parcours militant en 1949 à l’âge de 17 ans au sein des Scouts musulmans algériens (SMA) est revenu, dans un témoignage recueilli par l’APS à son domicile, dans la commune de Ain Smara (Constantine), à l’occasion de la commémoration du 65e anniversaire du soulèvement du Nord-constantinois, sur ces attaques "savamment préparées et pilotées par le chahid Zighoud Youcef et les réunions préalablement organisées pour fixer les objectifs à atteindre le jour J." Responsable du ravitaillement et l’acheminement des explosifs à travers une organisation bien rodée, M. Lakher a soutenu qu’à l’issue de la première réunion tenue à Boussatour, dans la commune de Sidi Mezghiche (Skikda), à laquelle ont participé 150 moudjahidine et responsables, "des contacts avaient été effectués par la suite à l’intérieur de la ville de Constantine pour ramener des armes et recueillir des informations sur les lieux à cibler." "La seconde réunion de préparation des attaques du 20 août 1955, réunissant près de 19 membres de l’organisation de Constantine, s’est tenue la veille sur les hauteurs de Djebel Ouahch en présence de Zighoud Youcef," a ajouté ce militant du mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) et membre de l’Organisation secrète (OS) qu’il a rejoint en février 1949.
Plongé dans ses pensées, il poursuit : "le 19 août, nous avons reçu l’ordre de nous rendre à Djebel Ouahch en direction de Kef Lekhal et d’y amener les armes en notre possession à bord de trois véhicules, avant de poursuivre à pied vers la mechta Hamaida chez la famille Boudersa, lieu de la rencontre." "Après la venue de Zighoud Youcef, les militants de Constantine, rassemblés dans trois maisons, ont été appelés un à un pour prêter serment en sa présence et en la présence de Messaoud Boudjeriou, le responsable régional, avant de répartir les actions à mener et les confier à plusieurs groupes," a-t-il précisé.
Des opérations bien ficelées et synchronisées
Une dizaine de groupes, composés de fidayine de Constantine, de djounoud (soldats) de l’Armée de libération nationale (ALN) et de moussebiline ont été ainsi chargés d’attaquer, le samedi à midi précisément, plusieurs objecti fs distincts à El Kantara, rue Bienfait (actuellement Kitouni Abdelamalek), rue Thiers (actuellement Tatache Belkacem), rue de France (actuellement rue du 19 juin 1965), rue Caraman et Belle Vue, conformément à des ‘’opérations bien ficelées et synchronisées’’. Ces attaques visaient, entre autres, des bars-restaurants, l’hôtel des Gorges où résidait un colonel de l’armée coloniale française, des locaux de la police, des établissements économiques, le kiosque à essence ESSO et le cinéma ABC (actuellement Anouar). A la tête du sixième groupe, celui des bombes artisanales, Mohamed-Salah Lakher a été chargé, de son côté, de mener une attaque contre un bar situé à la rue de France (actuellement rue du 19 juin 1965) faisant, selon lui, plusieurs morts et des blessés. "Nous étions environ une cinquantaine de moudjahidine et de fidayine à participer ce jour-là aux attaques, le 20 août 1955 à Constantine, se remémore-t-il encore, déplorant toutefois la mort du militant MTLD, Tahar Belabed, encerclé et assassiné dans une ruelle de la vieille ville de Constantine le 23 août 1955.
Mohamed-Salah Lakher, qui avait également rejoint le Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA) en juin 1954 et le FLN en novembre de la même année, a été arrêté par les forces coloniales le 28 novembre 1955 en compagn ie de 16 autres fidayine engagés dans la lutte armée urbaine et des actions commando à Constantine. Cette arrestation est intervenue, se rappelle-t-il, suite à la capture d’un ancien fidai, blessé les armes à la main et qui a dû divulguer sous la torture les noms des "Trois Si" de l’organisation de Constantine, à savoir Si Ali, Si Mostefa et Si Salah (respectivement Amor Zaâmouche dit Ali, Mostefa Aouati et Mohamed-Salah Lakher).
Et d’ajouter : "De nombreux compagnons de lutte ont écopé de peines allant de la condamnation à mort à la perpétuité ainsi que des travaux forcés, tandis que 24 autres membres de l’organisation ont été condamnés à mort et à perpétuité par contumace," assurant avoir été, pour sa part, condamné à 15 ans de travaux forcés. Ce militant de la première heure a également rappelé que plusieurs actions avaient été orchestrées dans l’antique Cirta avant l’offensive du 20 août 1955, notamment l’attentat à la bombe le 30 avril 1955 contre le Casino, situé à la Place des Martyrs (ex-Place Lamoricière), qui constitua les prémices de la "bataille de Constantine." Le défunt Ali Kafi, moudjahid et ancien président du Haut Conseil d'Etat (HCE), l’un des adjoints de Zighoud Youcef à l’époque, parle dans ses Mémoires, des représailles de l’armée coloniale française au lendemain du 20 août 1955, évoquant un "massacre sans précédent dans sa sauvagerie sinon celui du 8 mai 1945" et le sociologue et historien, Benjamin Stora, a relevé dans ses écrits "l’impitoyable répression des forces coloniales contre la population" après les attaques du 20 août 1955. Au niveau national et sur le plan militaire, l’offensive du 20 août 1955 a été à l’origine du renforcement des rangs de l’Armée de libération nationale (ALN).