Interview

M. Guemihi Touhami, directeur de la Maison de la Culture de Bordj Bou Arreridj : «La Maison de la Culture est avant tout un espace où la culture est considérée comme un facteur de développement social, humain et économique»

Publié par Mouad B. le 09-06-2015, 17h43 | 283
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Arrivé à la tête du Complexe Culturel Aïcha Haddad de Bordj Bou Arréridj il y a un peu moins de deux ans, Guemihi Touhami défend la place des Maisons de la culture dans le paysage culturel Bordjien et s’inscrit dans la lignée artistique du lieu, entre art, animation et apprentissage.

DK News : Vous dites, M. Guemihi, qu’une Maison de la culture est une «Culture de nécessité ». Quelle est pour vous la signification de cette expression ?

Guemihi Touhami : Dans un monde turbulent où pour des raisons économiques, culturelles et politiques les frontières ne cessent de bouger, il s’agit d’abord de donner sa place à des Maisons de cultures qui restituent tout son sens à la rencontre entre œuvres et spectateurs. Sans interdits. Notre Maison de culture se veut la marque d’un engagement qui souhaite, au-delà de la simple indignation, montrer des artistes qui se dressent vent debout comme les veilleurs indispensables que les questions de mémoire, d’identité et de résistance passionnent.

Je suis attaché à ces Maisons de la culture qui se sont affirmés ces dernières années en articulation avec une politique d’offre culturelle forte. Avant on  considérait que ces Maisons de la culture, des maisons un peu secondaires, devaient jouer des rôles secondaires.

Or cette vision des choses n’est pas vraie du tout. Ce ne sont pas des lieux culturels de seconde zone par rapport aux scènes nationales ou aux centres dramatiques nationaux. C’est important que cela soit compris des gens

Quel est l’objectif de la Maison de la culture ?

La Maison de la culture est un espace public à vocation culturelle, géré par le ministère de la Culture, qui milite pour qu’un véritable projet culturel voie le jour. C’est un lieu où les différents publics - y compris les publics « empêchés » - et les artistes se rencontrent.

C’est un espace dédié aux arts urbains et contemporains toutes disciplines confondues, en termes de création, de diffusion, de formation et de production. La Maison de la culture est avant tout un espace où la culture est considérée comme un facteur de développement social, humain et économique. Ainsi, ce lieu doit continuer de favoriser la mixité sociale, l’accès à la culture et aux arts pour tous, la liberté de création et d’expression, la sensibilisation des publics et des institutionnels, le débat et les échanges.

La Maison de Culture doit également devenir un espace où se développe une industrie créative par le biais d’activités culturelles génératrices de revenu afin d’assurer au lieu une autonomie financière.

Quelles sont les spécificités de la ville de Bordj Bou Arréridj ?
Quel est l’impact sur le travail de La Maison de la culture ?

Bordj Bou Arréridj est une ville ambivalente : à la fois à dimension internationale (plan économique et capitale des Bibans), et à la fois une ville des hauts Plateaux à taille humaine. Une ville à forte présence d’artistes  (la ville d’Algérie  ayant le plus d’artistes proportionnellement à sa taille). Forte concurrence de la part des artistes de tous les niveaux et tendances.

Notre Maison de la culture mise sur sa taille humaine, sa convivialité et la chaleur humaine de son accueil. Nous en faisons une force, car les artistes et les Bordjiens aiment être «chouchoutés». Convivialité et qualité sont les maîtres-mots de notre communication. Nous essayons aussi d’être attractif  et de proposer un certain nombre de petits « plus » qui inciteront les citoyens, artistes et apprenants à choisir notre espace.

Le public Bordjiens est très varié, car nous avons, en plus des étudiants, des lycéens, des écoliers, des femmes, hommes, aussi la présence de fonctionnaires (et leurs conjoints), et la proximité des autres wilayas M’Sila, Bouira, Bejaia et Sétif.

Combien d’ateliers offrez-vous dans cette Maison de Culture ?

Pour l’instant, nous avons 16 ateliers : Pour la première fois en Algérie, presque tous les ateliers sont ouverts aux personnes aux besoins spécifiques. La Maison de la culture de Bordj Bou Arréridj propose, un accueil de la personne handicapée et/ou en situation de fragilité dans les activités d’éveil ou dans un parcours adapté.

L’éveil artistique doit être accessible aussi aux enfants et aux adultes vivant une situation de handicap. Pourtant, trop peu de lieux d’enseignement artistique sont aujourd’hui en capacité de prendre en compte les besoins et les contraintes liés au handicap. La Maison de la culture de Bordj Bou Arréridj, avec son personnel, a développé ce savoir-faire au cours de ces dernières années et en fait une priorité dans ses propositions.

En fonction des besoins, des envies et des possibilités de chacun, l’équipe de la Maison de la culture propose un accueil et un accompagnement adaptés à chacun, enfants et adultes vivant avec un handicap.

1. Intégration dans les ateliers d’éveil artistique : Chaque fois que possible, nous ouvrons les séances ordinaires aux personnes en situation de handicap. Une période d’essai et d’ajustement ainsi qu’un suivi attentionné permettent de confirmer ensemble le bien-fondé de l’intégration ou de chercher une forme mieux adaptée.

2. Séance individuelles adaptées : Lorsque différents aspects empêchent l’intégration, nous tentons de répondre par un parcours personnalisé, des contenus de séance et un effectif adaptés.
3. Cours d’instruments adaptés : (voix, guitare, percussions, piano, accordéon, formation musicale...). Pour les personnes qui peuvent et qui souhaitent aborder la pratique instrumentale et/ou la formation musicale, nous adaptons notre pédagogie aux besoins spécifiques de chacun.

4. Ateliers d’art-thérapie : (musique, expression théâtrale, arts-plastiques) Pour des demandes axées sur l’évolution des comportements et des capacités d’expression, de relation et de communication. Un dispositif de suivi personnalisé est mis en place avec un art-thérapeute, parfois en lien avec d’autres professionnels.

Notons aussi un nouvel atelier de recyclage artistique.  Nourrie de mon expérience personnelle et par mon amour à la nature, nous avons avec les artistes de la Maison de la culture  conçu et animé  des dispositifs de sensibilisation à des problématiques écologiques avec une approche créative.

Plusieurs artistes animent des  ateliers et formations sur le recyclage créatif des déchets. Je propose de concevoir et de réaliser des projets sur mesure en m'appuyant sur 3 axes de travail : déchet, création, participation

Quelles sont les tranches d’âges qui activent dans ces espaces culturels ?

La culture n’a pas d’âge ni de sexe. Elle est pour tous, universelle et surtout humaine. C’est une production propre à l’humain. La culture se définit comme notre façon de vivre. Elle englobe nos valeurs, nos croyances, nos coutumes, nos langues et nos traditions.

Elle est reflétée par notre histoire, notre patrimoine et notre façon d’exprimer les idées et la créativité.
Notre culture est un bon indicateur de notre qualité de vie, de notre dynamisme et de la santé de notre société.

Elle nous donne un sentiment d’appartenance et de croissance cognitive, de même que concevoir l’empathie et établir des rapports avec les autres. Les retombées directes d’une culture solide et dynamique comprennent la santé, le mieux-être, l’estime de soi, le développement de compétences, le capital social et le rendement économique.

Quel est l’enjeu principal de cet attachement qui semble vous tenir à cœur à faire participer le plus grand nombre de jeunes artistes et surtout les apprenants ?

Dans une période où les difficultés économiques frappent l’art sous toutes ses formes, il est vital d’aller à la rencontre des autres lieux sans hiérarchie. La mutualisation des moyens est indispensable.

Procéder par capillarité avec nos collègues est nécessaire à la fois au développement de la culture et à la construction d’un élan collectif. Renforcer les liens entre les artistes et les apprenants est impératif, comme à titre d’exemples avec l’atelier des jeunes de l’école des sourds et muets de Bordj Bou Arréridj.

Nous avons donné un espace à ces jeunes doués d’une capacité extraordinaire de créativité et d’expression afin de s’ouvrir vers l’extérieur et de s’exprimer dans un lieu autre que leur école. Ces solidarités nouvelles s’accordent très bien avec les trois mots clés de Sens interdits : mémoires, identités, résistances.

Qu’il s’agisse d’écouter un concert gratuit en plein air, de visiter un musée, d’assister à une pièce de théâtre ou de chanter dans une chorale, la culture est quasi omniprésente dans notre quotidien. En plus de contribuer grandement au mieux-être et à l’apprentissage, la culture peut jouer un rôle dans la guérison et le développement social.

Quels sont les aspects sur lesquels un directeur d’une Maison de la culture doit toujours travailler (au quotidien et sur le long terme)?

Cela dépend de la taille de sa Maison de la culture, et de son implantation (la mission n’est pas la même). Tous les aspects sont à surveiller bien évidemment, tout est important. Au quotidien : la bonne planification du travail, la bonne organisation de l’activité de l’équipe.

Contrôle de la qualité des formations et activités artistiques dispensées et de la satisfaction des visiteurs en général et des apprenants par rapport à l’accueil, les locaux, la pédagogie, les spectacles, etc.

Sur le long terme : savoir toujours faire preuve d’anticipation et savoir investir en temps et en personne ; tout comme une entreprise, une Maison de la culture qui ne se développe pas, est une maison condamnée à long terme. En résumé, la Maison de la culture est avant tout un espace où la culture est considérée comme un facteur de développement social, humain et économique.

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