Interview

5 questions à Maître Khaled Lasbeur, avocat installé à Paris : «Un puncheur au prétoire»

Publié par Propos recueillis par CEM le 09-03-2015, 18h01 | 10726
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Inscrit à la Cour d’appel de Versailles comme avocat depuis plus de vingt ans, Khaled Lasbeur a occupé le devant de la scène par ses plaidoiries retentissantes dans des affaires autant politiques que de droit commun.

Il est notamment celui qui a mené bataille contre l’ex-président du Front national Jean-Marie Le Pen, en obtenant devant le juge civil de Nanterre l’interdiction de la diffusion d’une affiche électorale attentatoire à l’emblème national, et en faisant citer ce dernier devant le tribunal correctionnel de cette même juridiction.

Tout comme il s’est distingué dans des affaires d’ordre politique en collaborant étroitement avec Maître Jacques Vergès, aujourd’hui décédé. En recevant l’équipe de DKNews Paris, il se livre sur son parcours, sa vision des relations algéro-françaises et un regard optimiste sur l’Algérie.

DK news : Pouvez vous nous relater brièvement le parcours qui vous a conduit ici en France ?

K.Lesbeur : Après des études en Algérie, je suis venu en France à la fin des années 1977 en tant que boxeur, devenu, au fil des ans et après une brillante carrière amateur, professionnel pour me perfectionner et m’accomplir.

Après avoir arrêté la pratique de la boxe, vers 1987, j’ai ensuite été intégré dans une grande école française pour être enfin admis au centre de formation des avocats de Paris. Il est à rappeler que mes premières années d’exercice en France ont été au consulat d’Algérie à Melun puis Paris où j’ai travaillé comme juriste.

A l’issue de ma formation d’avocat parallèlement à mon travail, j’ai prêté serment à la cour d’appel de Versailles, ce qui m’a ouvert la voie vers ce noble métier que je pratique avec amour et abnégation, au bénéfice du droit et des causes justes.

Comment avez-vous vécu votre fameuse plaidoirie, en 2010, contre l’utilisation de l’emblème national par Jean-Marie Le Pen ?

En fait il s’agissait de récuser l’assimilation sous-entendue, au niveau de cette affiche, de l’Algérie à l’islamisme. Le juge civil a décidé sur mon action bien menée d’interdire cette affiche qui présentait une carte du territoire français recouverte du drapeau algérien avec des minarets sur les contours et une femme voilée en haut.

J’ai de mon côté axé ma plaidoirie sur le caractère diffamatoire de cette affiche, qui était pour nous une incitation directe à la haine.

J’ai également pu produire, en pleine audience en faisant appel à mon confrère Kebbout Nacer, les éléments de preuve attestant de la paternité revendiquée par Monsieur Le Pen de la production de l’affiche dont il niait, par le truchement de son conseil, être l’auteur.

Si le procureur de la République m’a suivi sur ces aspects, en ayant requis une peine d’emprisonnement, sa condamnation à une peine de prison n’a pu être obtenue, au motif, selon le juge, que cette affiche a été diffusée dans le cadre d’une campagne électorale où les écarts de langage non susceptibles de porter atteinte à autrui sont tolérés, et que l’intention de nuire était difficile à établir.

En tout état de cause, elle a été pour nous un exercice difficile dans un contexte français attaché à la liberté d’expression; mais il était de notre devoir de dire aussi que cette liberté a ses propres limites dès lors qu’elle peut engendrer un préjudice à un tiers et en l’espèce la communauté algérienne.

Vous êtes aux premières loges dans l’analyse  de l’évolution des relations de coopération entre l’Algérie et la France; quels enseignements en tirez-vous ?

à partir du premier socle posé par les Accords d’Evian, en 1962, l’accord de coopération établi entre les deux pays en 1968, qui donne les mêmes droits que les Français aux ressortissants algériens, excepté les droits politiques,  fournit une base juridique importante sur laquelle nous travaillons beaucoup pour la défense des droits de nos concitoyens en France.

L’application de cet accord a ensuite laissé apparaître des lacunes notamment pour le renouvellement des titres de séjour des Algériens établis en France dans les années 1980; d’où l’idée a effleuré l’esprit de l’ex-président Giscard d’Estaing de proposer l’intégration de la communauté algérienne en France à l’expiration de leurs titres de séjour ou son renvoi vers l’Algérie, d’où la fameuse période qu’on a appelée ‘‘Prends dix mille balles et casse toi !’’.

C’est ainsi qu’un premier amendement signé le 22 décembre 1985 a réglé cette question en instituant, au profit des ressortissants algériens, des cartes de séjour de 10 ans avec renouvellement automatique.

En 1994, il y a eu un nouvel avenant, qui a vidé de toute sa substance l’Accord algéro-français et a conduit la délégation française à imposer un accord relatif à la réadmission des ‘’présumés nationaux’’ et des nationaux’’.

Qui, de surcroît, n’a jamais été publié au Journal officiel de la République française et qui constitue pour la partie française la pierre angulaire des expulsions des Algériens de France. 

Vient enfin le 3e avenant de 2001, qui introduit une classification de catégories de ressortissants algériens pouvant obtenir, de plein droit, un titre de séjour portant la mention ‘‘vie privée et familiale’’; notamment les conjoints de français, et certaines catégories de malades atteints d’une pathologie dont le défaut de soins pouvant entrainer des conséquences d’un exceptionnelle gravité et ne pouvant être soignés en Algérie.

Ces dispositions n’imposent pas l’obligation du visa long séjour pour obtenir un certificat de résidence conformément à l’article 09 de l’Accord algéro-français, sachant que ce visa long séjour est délivré avec beaucoup de parcimonie par les services consulaires français.

Ce cadre légal de coopération est pour nous un terrain de travail quotidien sur lequel nous nous appuyons pour faire recouvrer les droits de nos concitoyens dans leurs démarches auprès des différents services administratifs français.

Vous avez également soulevé les incohérences  que subit la catégorie des retraités ; qu’en est il exactement ?

En fait dans  l’avenant de 2001, il y a une mention spéciale pour le retraité algérien et son épouse qui, après avoir résidé en France avec un certificat de résidence de 10 ans, décide d’établir sa résidence hors de France.

Il aura alors une carte de séjour valable 10 ans portant la mention ‘’retraité’’, qui lui donne droit de séjourner en France, sans dépasser une période d’une année de séjour, mais pratiquement sans droit à une couverture sociale.

Ce titre n’étant actuellement délivré qu’en Algérie. On s’interroge parfois sur la question de savoir ce que doit faire le retraité algérien, qui décide de se réinstaller définitivement en France avec cette carte portant cette mention ‘’retraité’’. Pour celui qui s’installe en Algérie, s’il veut renouveler sa carte de retraité, il doit accomplir les démarches à partir d’Alger.

Tout ceci ne nous paraît pas cohérent, et doit faire l’objet d’une attention particulière pour témoigner de la considération à cette catégorie d’Algériens, qui a consacré sa jeunesse et sa santé pour le développement de la France.

Quel regard portez-vous sur l’Algérie ?

J’y vais régulièrement notamment dans le cadre professionnel, donc cela me donne l’occasion d’observer et d’analyser beaucoup de choses.Par ailleurs, j’échange beaucoup ici en France avec des personnalités d’horizons et milieux différents.

A partir de là, je peux vous dire que de mon point de vue le pays évolue dans le bon sens et offre beaucoup d’opportunités pour ceux et celles, parmi nos compatriotes, qui veulent  travailler et créer de la richesse en Algérie. Je connais des amis qui ont décidé de  repartir en Algérie et qui ont fait de belles choses en matière d’investissement.

Je dis cela parce que je suis convaincu que l’effort et l’investissement sont les seuls créneaux qui permettront à l’Algérie de sortir de la dépendance du pétrole et de confirmer sa place parmi les nations créatives. J’encourage et je salue les jeunes, qui ont d’ores et déjà pris l’initiative d’investir en Algérie, notre cher pays.

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