Interview

4 Questions à Madame Louiza Belhamici, Universitaire militante des droits de l’Homme : Comment réussir le vivre ensemble

Publié par Propos recueillis par CEM le 21-01-2015, 19h30 | 953
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Louiza Belhamici est professeure de Lettres, consultante, coach,  auditeur qualité. Elle exerce ses fonctions au sein de la Délégation académique à la formation professionnelle initiale et  continue (Dafpic) au rectorat de l'académie de Créteil. Elle est  diplômée de la Sorbonne et du Cnam. Elle est chevalier dans  l'Ordre des Palmes académiques.

Ses responsabilités actuelles la conduisent à intervenir dans les  Établissements publics locaux d'enseignement (Eple), pour le réseau  de la formation professionnelle et continue des adultes de l’Éducation nationale et dans les entreprises avec lesquelles un  partenariat est institué. Spécialiste de la formation des adultes, elle a développé une expertise dans les domaines de l'ingénierie de formation et de l'ingénierie pédagogique.

Elle conçoit et anime des modules de  formation de formateurs pour les entreprises partenaires et pour  les acteurs du réseau de la formation des adultes de l’Éducation nationale. Elle accompagne les nouveaux formateurs et les conseillers en formation continue pour la rédaction de leur mémoire  professionnel et les prépare aux jurys de certification.

Son expérience l'a amenée à intervenir dans l'élaboration des plans de formation des Groupements d’établissements (Greta) de l'Académie de Créteil, la conception et l'animation de dispositifs de formation individualisée et les séminaires pédagogiques.

Elle apporte également son savoir-faire dans le pilotage stratégique, pédagogique et financier de plusieurs projets de l'Académie de Créteil notamment ceux portant sur le développement des centres de ressources et la Formation Ouverte et à Distance (Foad). Attachée à créer des conditions de collaboration favorables au sein  des équipes, elle encadre régulièrement des groupes d'analyse de pratiques en entreprise et dans des organismes de formation.

Elle conduit des séances de coaching auprès, notamment, de managers et  d'équipes soucieux de prévenir les risques psychosociaux liés aux  tensions générées par les nouvelles conditions d'exercice de  l'activité professionnelle. C'est une militante engagée dans différents collectifs et  associations. Elle est co-présidente du Collectif féministes pour l'égalité et trésorière de la Commission Islam et Laïcité.

DKNews : Que vous inspire l’actualité récente des attentas terroristes de Paris ?

Louiza Belhamici : Je suis tout d’abord très affectée, au même titre que toutes les personnes sensibles au respect de la vie et de la dignité humaines.

Je suis abasourdie par la brutalité de ces actes, leur violence, et je m’interroge sur les répercussions profondes qu’ils ne manqueront d’avoir sur la cohésion de la communauté nationale et sur les efforts faits pour réussir ce «vivre ensemble» pour lequel nous n’avons eu de cesse de nous battre.

Il y aura aussi, à mon sens, des conséquences très lourdes sur les possibilités de mettre en place des espaces d’échanges et de débats, empreints de sérénité et ouverts à toutes les références intellectuelles, politiques et idéologiques.

Le climat suscité par cette actualité favorise, notamment au niveau des médias et de certains responsables politiques un raccourci réducteur entre trois individus, illuminés, auteurs d’actes abominables sous couvert de ressorts idéologico-religieux et les musulmans de ce pays inscrits dans la dynamique républicaine et respectueux de leurs concitoyens.

En nous désignant, ils espèrent faire oublier leur propre responsabilité dans la situation dramatique dans laquelle nous nous trouvons tous et en particulier les musulmans puisque, est-il nécessaire de le rappeler, les auteurs ont agi contre l’intérêt même de ces derniers.

La prise de recul était impérative et ces événements devaient être interrogés de manière raisonnée et croisée. Nombreux ont été ceux qui ont jeté l’anathème sur les rares espaces politiques de l’immigration qui poursuivent aux côtés de la majorité des forces antiracistes leur combat contre l’islamophobie. La lutte contre l’obscurantisme de tout bord doit se renforcer.

Racontez-nous un peu votre histoire d’Algérienne... 

Je suis née et grandi en France, plus précisément dans le 13e  arrondissement de Paris, où mon défunt père tenait un petit commerce.

L’histoire commence avec mon père justement qui, une fois démobilisé après la campagne d’Italie, durant la Seconde Guerre mondiale, s’est retrouvé en France où il a travaillé comme cantonnier à la Ville de Paris seul dans un premier temps, pour se faire une situation, avant de faire venir ma mère restée en Kabylie jusqu’en 1955.

Comme tout Algérien attaché à son pays et à ses origines, mon père qui tenait un café dans le 13e arrondissement a connu nombre de déboires  en raison de son engagement avec le FLN et de son soutien à la cause de l’indépendance nationale.

J’ai effectué mes études à Paris où j’ai suivi un cursus universitaire en langue et civilisation françaises. Je dois vous avouer qu’à la fin de mes études j’ai été tentée par l’expérience de l’enseignement en Algérie et j’ai  même envoyé un dossier de candidature au ministère de l’Enseignement supérieur au début des années 1980, qui m’a été renvoyé quelques mois plus tard, avec une fin de non-recevoir. Cela ne m’a pas empêchée de nouer des relations fortes avec le pays de mes origines dans lequel je me rends très régulièrement.

Comment êtes-vous parvenue sur le terrain du militantisme ?

C’est avant tout une affaire liée à mon histoire personnelle et à mes rapports avec mes parents. Le souvenir douloureux de l’arrestation de mon père et de mon oncle maternel durant la guerre d’Algérie a aiguisé ma sensibilité au combat pour l’égalité des droits, la liberté et la justice.

Et puis de manière générale la guerre d’indépendance de l’Algérie a créé en moi une forme de tension intérieure et plus tard un intérêt pour la question coloniale. J’ouvre une parenthèse pour signaler qu’au cours de mes travaux de recherche en université, j’ai choisi de travailler entre autres sur l’image du Sarrasin dans la littérature médiévale et plus tard, celle de l’Arabe dans des textes de la littérature coloniale.

L’inégalité de traitement entre les filles et les garçons que j’observais dans ma famille et qui traverse plus généralement nos sociétés maghrébines m’a amenée à m’intéresser aux travaux des «féministes historiques» et également aux recherches autour de la questions du «genre». Au lycée, je me suis initiée au militantisme politique, en intégrant quelque temps les jeunesses communistes. 

Au moment du débat qui a abouti au vote de la loi du 15 mars 2004  dite «loi sur le voile à l’école» j’ai participé à l’initiative lancée par le groupe de féministes de tous horizons signataires de la pétition «Un voile sur les discriminations». Le «Collectif féministes pour l’égalité» dont je suis coprésidente est né à ce moment-là. 

Dix années après, nous poursuivons notre lutte pour l’égalité des droits,  pour le refus d’un modèle unique de libération et d’émancipation des femmes, pour le respect du libre choix des femmes à porter ou non le foulard et contre les lois qui stigmatisent les femmes du fait de leur appartenance sociale, culturelle, religieuse ou politique.

Je milite également au sein de la «Comission islam et laïcité» créée en 1997, avec comme objet de «rassembler autour d’une même table, sans souci de représentation institutionnelle, des musulmans, des chrétiens de différentes confessions, des juifs, des agnostiques et des athées, afin de discuter librement de la place de l’Islam en France, de ses relations avec les institutions comme de sa présence dans la société».

Nous essayons de sensibiliser sur la nécessité et les modalités du «vivre ensemble»  que nous recherchons tous. Mon souhait en ce moment précis est que nos concitoyens des autres confessions se mettent, un court moment, à vivre ce que vit et ressent un Français musulman, pour comprendre comment et pourquoi nous sommes attachés à la sauvegarde de la cohésion de la communauté nationale.

Quelles attaches avec l’Algérie ?

Les liens sont régulièrement entretenus parce que le besoin est toujours là de raffermir les attaches avec la Terre et les origines. Mon premier voyage en Algérie en 1977 a marqué le début d’une relation forte et d’un attachement indéfectible à ce pays même si les insatisfactions restent nombreuses quant aux choix qui sont faits pour son développement et son rayonnement.

J’apprécie toujours d’y retrouver ses couleurs, sa lumière et ses senteurs et… certaines de ses coutumes aussi. Le film de Lakhdar Hamina  «Chroniques des années de braise» sorti peu avant ma première expérience au pays m’a profondément marquée esthétiquement mais aussi parce qu’il m’a saisie par le poids des images et la cruauté de la réalité coloniale.

En dehors de tout et hormis le lien avec la terre et la famille, il y a comme une douceur de vivre et une forme de légèreté qui me font encore aimer un peu plus le pays.

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