Interview

6 Questions à Nora Aceval : L’histoire au présent

Publié par Propos recueillis par CEM le 23-01-2015, 18h54 | 816
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Nora Aceval est née à Tousnina, à l’aube de la guerre d’Algérie, dans une ferme sur les hauts plateaux de Tiaret dans le sud-ouest algérien. Elle a grandi parmi les gens de sa tribu maternelle des Ouled Sidi Khaled qui font place, chaque été, aux nomades transhumants venus du grand Sud. C’est à cette chaleureuse proximité qu’elle doit son précieux répertoire de contes populaires.

C’est également la région des tombeaux berbères des Djeddars, celle de la grotte où Ibn Khaldun rédigea sa Muqaddima à Taoughazout. Sa naissance fut marquée du sceau de l’altérité. «Un père d’origine espagnole et une mère arabe m’ont transmis ma double culture, que j’assume tel un viaduc humain entre ici et là-bas».

DK News : Comment avez-vous été imprégnée de cette passion pour le conte populaire ?

Nora Aceval : Dès ma petite enfance à Tousnina et plus tard dans le village de Trézel (Sougueur aujourd’hui), quand ma mère, qui détenait un grand répertoire, nous disait, à nous ses enfants, tous ces contes pour bercer les longues soirées de couvre-feu.

C’est bien au-delà d’une passion. Si je ne rentre pas dans des considérations liées à la sensibilité et la psychologie des conteurs en relation avec leur histoire individuelle, je demeure convaincue que «l’on naît conteur !». Une sublimation sans doute. Dans le domaine de l’art, pourquoi devient-on poète, écrivain, peintre ou que sais-je d’autre ? C’est un mystère.

La société est variée et il faut de tout pour faire un monde. Comme Obélix, je suis tombée dedans dès ma naissance. J’aime toujours écouter les contes comme quand lorsque j’étais enfant. J’aime aussi les transmettre.

Il y a très longtemps, lorsque mes proches, demeurés en Algérie, me demandaient: «Que veux-tu qu’on t’envoie ? Des dattes ? Des gâteaux ?» Je répondais toujours : «Un conte !» J’avais commencé ma collecte sans le savoir.

Le conte populaire algérien est-il  encore le terreau de vos travaux de réflexion et d’écriture ?

Oui, je continue à collecter, traduire, publier, conter. Et analyser ! Trouver le sens caché d’une histoire, la comparer avec une autre version, réfléchir à l’utilité de la transmission de ces récits qui circulent depuis des siècles, des millénaires de bouche à oreille, à travers les espaces et les langues. En France, il a fallu que je m’adapte en tant que conteuse traditionnelle à voix nue.

En milieu extra-familial, mon auditoire, comme mon espace, se modifièrent. Bien plus, ils mutent sans cesse. Contrairement à la pratique ancestrale, je ne conte plus seulement en famille. Mon répertoire est algérien, traduit en français.

Il est imprégné de ma culture rurale des hauts plateaux. Cela semble plaire à mon auditoire de tous les âges. En dehors de l’universel auquel chacun s’identifie, perce le local qui dépayse et invite au voyage. Un pont entre les peuples !

Pensez-vous que le conteur a encore de l’avenir avec le développement des nouveaux outils de communication ?

Plus que jamais ! Et dans le monde entier ! En France, on parle du renouveau du conte depuis 1962. L’industrialisation a dilué peu à peu les veillées, les réunions dans les villages, et voilà que l’on réalise que le conte n’est jamais mort.

Une nouvelle génération de conteurs est née et continue de s’agrandir. En Algérie, où le conte n’est plus un acte social, un genre nouveau de conteurs et conteuses émerge. Ils sortent du milieu familial et rapportent les histoires d’antan dans d’autres lieux.

Je suppose que ce sont justement les nouveaux moyens de communication qui ont permis aux conteurs de ne pas se sentir seuls et marginalisés. Ils sont fiers de leur art et le propose dans les milieux scolaires, les bibliothèques, les théâtres.

De nombreux festivals ont vu le jour depuis de nombreuses années. Je pense à celui de Tizi Ouzou appelé «Le grain magique» pour faire référence au livre (recueil de contes kabyles) de Taos Amrouche. Mais il en existe d’autres à Constantine, à Oran.

Les conteurs reviennent en force. Il suffit qu’ils trouvent leur place et que certains ne confondent pas comédien et conteur. Un conte ça se narre.

Pensez-vous que les enfants auxquels vous consacrez une bonne partie de vos œuvres sont «un  terrain favorable» aux contes ?

Les enfants et les grands ! En effet, j’ai publié plusieurs albums jeunesse et recueils de contes, mais ma préférence va à l’oralité. Rien ne remplace la présence de la conteuse, sa voix. Le conte est vivant ! Il est oral ! Nous avons tort d’assimiler le conte aux enfants.

Ces derniers en raffolent mais les adultes également. Le conte participe à la distraction tout en éduquant. Je ne parle pas seulement de morale. Tout est précieux dans un conte bien dit. Je le remarque en Algérie dans mon entourage où chacun est sensibilisé au conte, et en France, dans les établissements scolaires et les bibliothèques.

Les enfants sont passionnés par les récits et les héros qu’ils découvrent. Ils en réclament. Les devinettes que je pratique plaisent également beaucoup. Les enfants découvrent d’autres personnages et d’autres manières d’être qui préparent à l’altérité, au bien-vivre ensemble.

Djha a-t-il vraiment été «roulé» par la  femme ?

Vous faites référence à mon dernier livre La femme de Djha plus rusée que le diable ! (Ed. Al Manar, Alain Gorius. Neuilly/Seine). Oui, quelquefois pas toujours.

C’est la première fois qu’un livre assemble uniquement des histoires où le fabuleux Djha n’est confronté qu’à sa femme. Mise en lumière, Mart-Djha devient un symbole féminin subversif. Ces récits en apparence simples sont porteurs de révolte, protestations, philosophie et critiques.

J’ajouterai que le personnage de Djha est connu depuis le XXe siècle sous le nom de Djouha en Irak. Comme je le note dans la préface du livre, Djha serait le maître initiateur qui permet à son élève (en l’occurrence sa femme) de se distinguer. Ne dit-on pas qu’un bon maître doit voir son disciple le dépasser ?

Avez-vous de nouveaux projets de recherche en Algérie ? En France ?

Mes projets en Algérie demeurent liés au collectage. Depuis plus de 20 ans que je sauvegarde sans relâche ce que je peux de ces récits ancestraux, les gens se sont habitués à ma passion. Spontanément, ils me rapportent des histoires et me présentent des personnes porteuses d’une mémoire de littérature orale.

Mes projets en France où je vis sont toujours liés à l’Algérie. Dans l’immédiat, je prépare une conférence sur la place de la femme dans le conte populaire algérien. Et je suis en pleine révision d’un recueil de contes sur la «Sagesse des femmes du Maghreb» qui sera publié en 2015.

En parallèle, je traduis (des textes collectés par mes soins sur les hauts plateaux de Tiaret) et j’adapte les récits en vue de préparer un spectacle (Une narration) en quatre ou cinq veillées d’un fragment de la geste hillalienne (Sirât Bnou Hillâl).

Ce sera à Marseille, en collaboration avec un théâtre dédié aux contes. En réalité, plusieurs chantiers sont en attente, comme un recueil sur les contes spirituels (pas religieux) avec une dimension universelle qui évoque l’hospitalité, l’espoir et d’autres valeurs humaines.

Notre époque, plus que jamais, doit révéler ce qu’il y a de plus beau dans chaque culture et ouvrir les esprits à divers horizons fraternels. Nous sommes des terriens avant d’être de tel ou tel pays. Et le conte est un outil prodigieux pour créer des ponts et inviter à s’ouvrir aux autres.

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