Mon engagement politique trouve ses fondements dans le militantisme de mes parents qui se sont engagés très tôt dans la lutte anti-coloniale pour l’indépendance de l’Algérie .
DKNews : Née près de Constantine, vous êtes arrivée très jeune en France ; pouvez- vous nous relater ce parcours ?
Bariza Khiari : Je suis née dans les Aurès et suis arrivée à l’âge de quelques mois en France ou j’y ai passé la plus grande partie de ma vie. J’y ai fait mes études et me suis engagée très tôt au MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples ), un des premiers mouvements à lutter contre le racisme.
J’y ai rencontré des gens d’une grande sincérité comme Mouloud Aounit, ce grand militant de la cause anti-raciste, celui qui s’est élevé le premier contre une islamophobie rampante. Je regrette que l’Algérie, son pays d’origine, n’ait pas fait davantage au moment de son décès.
C’était un grand. Ce premier engagement a été déterminant pour mes débuts en politique. J’ai d’abord été adhérente, puis militante au Parti socialiste. J’en ai gravi tous les échelons : secrétaire de section du 16e arrondissement de Paris, jusqu’à devenir secrétaire nationale en charge des services publics en passant bien entendu par le niveau fédéral.
Dans les instances politiques, j’ai été membre du Bureau national et du Conseil national du parti socialiste. J’ai été élue au conseil d’arrondissement du 16e à Paris puis élue sénatrice en 2004. Tout ce parcours s’est fait sur une vingtaine d’années, c’est dire que mon ascension ne diffère en rien de celle de mes collègues parlementaires, car j’ai toujours tenu à la légitimité des urnes.
J’ai mené de front une carrière professionnelle au ministère de l’Equipement, Transports, Tourisme. Mon dernier poste occupé avant de devenir sénatrice était chef d’un service de l’Etat. J’ai été pendant plusieurs années déléguée régionale du tourisme Paris-Ile-de France.
Vous avez été pendant trois ans, troisième personnage de l’Etat français en tant que vice président du Sénat. Quels enseignements cela vous a-t-il procuré ?
Une précision si vous le permettez : le président du Sénat est le deuxième personnage de l’Etat.
Avoir été élue au poste de vice-présidente du Sénat a été un grand honneur pour moi. C’était la reconnaissance de mes pairs. Cela a été un grand moment.
C’est vous dire que j’ai occupé cette fonction avec gravité. C’était une expérience unique de présider les débats de la Chambre haute. On y apprend la patience, l’écoute et la bienveillance vis-à-vis des collègues.
L’enseignement que j’en tire, c’est que, sans nier les discriminations qui existent et qui sont des morts sociales, on peut aussi, en France même quand on est d’origine étrangère, grâce à l’engagement et le travail, se réaliser pleinement. A ce niveau, les compétences font oublier l’appartenance puisqu’en 2014 j’ai été désignée première vice-présidente du Sénat.
Parmi vos références spirituelles, pourquoi l’Islam soufi et le combat de vos parents sont érigés en constantes ?
Pour ce qui concerne mes parents : mon engagement politique trouve ses fondements dans le militantisme de mes parents qui se sont engagés très tôt dans la lutte anti-coloniale pour l’indépendance de l’Algérie.
Alors qu’ils vivaient en France, mon père et ma mère ont fait de la prison pour leurs idées politiques. Mon père a même été «exilé» de France en Algérie à la prison Barberousse pour purger sa peine. Quand mon père est rentré, c’est ma mère qu’on est venue chercher afin qu’elle purge la sienne.
C’est dire qu’enfant, j’ai été marquée par la lutte contre le colonialisme et j’ai compris que sans engagement, sans militantisme, on ne change pas les choses. Quant à mes références spirituelles: d’abord, je tiens à rappeler que je me définis comme farouchement républicaine et sereinement musulmane.
Et il ne saurait y avoir aucune incompatibilité entre ces deux engagements. Pour aller loin, il faut d’abord savoir d’où l’on vient et l’inscription dans une tradition, une culture, parce qu’elle participe de l’estime de soi, de la construction personnelle, peut aussi avoir une portée émancipatrice majeure.
Le soufisme, c'est plus qu'un intérêt, c'est du vécu.
Je chemine avec beaucoup d'humilité dans cette voie enracinée dans la tradition prophétique. Cette voie spirituelle est le cœur même de l’Islam. Voie d'initiation et d'éveil qui se transmet depuis le Prophète(QSSSL), de maître en maître.
De nos jours, dans un environnement opaque, dans cette pollution ambiante des esprits, nous avons plus que jamais besoin de donner du sens à ce que nous entreprenons. Le soufisme est un ''axe'' qui permet de se recentrer intérieurement et mieux faire face aux sollicitations qui nous tiraillent à la surface des choses. Le soufisme s'inscrit toujours dans son temps, il est perpétué par un ''maître vivant'', ce fabuleux révélateur de l'âme.
Cette voie soufie, dont la réalité se trouve au fond des êtres, se réfère à un patrimoine culturel prestigieux : littéraire, poétique, philosophique, musical, iconographique et bien évidemment spirituel qui mérite d’être mieux connu. C'est la voie de la transmission par excellence.
Par la transmission de ce prodigieux héritage spirituel à travers la culture, il s'agit de tenter d'approcher la grande question métaphysique du mystère de l'existence. Pour moi, la spiritualité est inhérente à la nature humaine.
Je profite de cette interview pour dire que j’ai été particulièrement heureuse quand le ministre algérien des Affaires religieuses M. Mohamed Aïssa a rappelé que cet islam était celui de nos aïeux et qu’il fallait renouer avec l’islam de Cordoue, civilisation à laquelle tout le Maghreb appartient. Nous assistons à un tournant en Algérie et à une prise de conscience bienvenue.
Votre pugnacité reconnue vous amènera-t-elle vers de nouveaux défis sur la scène politique française?
En plus de l’exercice normal de mon mandat de sénatrice, je viens d’être élue par mes pairs, Juge titulaire à la Cour de justice de la République, juridiction compétente pour juger les infractions commises par les membres du Gouvernement pendant l’exercice de leurs fonctions.
Et également membre de la délégation du Sénat à l’OTAN. Le défi, c’est d’être à la hauteur de la confiance qu’on m’a témoignée en me confiant ces nouvelles responsabilités éminentes.