Interview

4 questions à Elyamine Settoul : Au croisement des paradoxes

Publié par Propos recueillis par CEM le 25-12-2014, 20h14 | 933
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Elyamine Settoul est diplômé en sociologie, sciences politiques et relations internationales. Il est titulaire d’un master recherche en sciences politiques et d’un doctorat de sociologie politique obtenu à Sciences-Po Paris.

Sa thèse réalisée en partenariat avec le Centre d’Eudes et de Recherches Internationales  et l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire analyse le phénomène de l'engagement des militaires issus de l'immigration.

Ses champs d’intérêt incluent la sociologie militaire, la sociologie de l’immigration, la sociologie des médias et l’espace arabo-musulman. Ses publications incluent des travaux pour le ministère de la Défense (Rapport, Inflexions, Champs de Mars…) et des publications académiques internationales. Ses travaux qui s’attachent à décrypter les transformations sociologiques  des armées (diversification, féminisation, régulation du religieux…) ont été cités dans des grands journaux français (Le Monde, Le Monde Diplomatique) et étrangers (Etats-Unis, Canada, Allemagne, Qatar..).

Il a par ailleurs été doctorant invité au département de sociologie de l’université d’Oxford et a enseigné durant plusieurs années à Sciences-Po Paris.

Il est actuellement Jean Monnet Fellow au prestigieux Robert Schuman Centre For Advanced Studies de Florence où il analyse la question de la diversité des armées dans une perspective comparative internationale. Parallèlement à sa carrière universitaire, il a été consultant auprès du ministère de la Défense et intervient régulièrement comme expert dans les médias (France 24, France Culture, RFI..).


DKNews : Comment êtes- vous arrivé sur le terrain du combat pour la diversité?

Elyamine Settoul : Je crois qu’il  y a parfois une dimension presque psychanalytique dans le choix des études que l’on peut être amené à effectuer. Pour ma part, je suis arrivé de manière assez naturelle à ces questions d’identité et d’altérité.

D’une part, en tant que français issu de l’immigration algérienne, originaire de surcroît de la région de Sétif, je me suis trouvé plongé au croisement de paradoxes et de plusieurs histoires.

Les manuels scolaires d’histoire sur lesquels nous travaillions restaient quasi muets sur une Guerre d’Algérie que mes parents avaient vécu dans leur chair. Les évènements survenus le 8 mai 1945 à Sétif n’apparaissaient également jamais.

Cette occultation a été une source de curiosité pour moi. D’autre part, en tant que Français issu d’une minorité visible, j’ai rapidement ressenti les blocages de la société française et notamment ses difficultés à accepter tous ses enfants.

Les phénomènes de discriminations et de plafond de verre étaient des évidences que la société française a eu du mal à reconnaître. Travailler sur la diversité au sein des armées m’a permis d’analyser tous ces phénomènes en profondeur. Je touchais à la fois à l’armée, à l’Algérie, à l’intégration et aux discriminations….

Vous êtes parmi les signataires du Manifeste des musulmans d'appartenance, qu'est-ce que cela représente pour vous?

Effectivement j'ai été un des signataires du Manifeste des musulmans d'apparence car je trouve que ces dernières années, les débats nationaux se sont beaucoup trop focalisés sur les questions ethniques et religieuses (en particulier islamique) avec des polémiques aussi diverses et stériles que la viande hallal, les minarets ou encore la burqa.

Or quand on analyse un à un ces différents phénomènes on observe qu'ils sont soit insignifiants du point de vue sociologique comme c'est le cas pour les minarets (moins de 6 en France) ou le nombre de musulmanes portant la burqa (moins de 0,5%) soit motivé par des arguments aux relents racistes et différentialistes.

Pourquoi les rites liés au hallal feraient débat et pas ceux du casher qui présente pourtant de nombreuses similitudes?

Pour être véritablement républicaines, ces réflexions doivent être globales et ne pas cibler certains groupes spécifiques en raison de leur plus grande fragilité dans le tissu social. Le concept français de laïcité est un principe positif pour le vivre ensemble seulement s’il est interprété correctement c'est-à-dire à travers l’esprit de la loi de 1905 et surtout appliqué par toutes les religions.

Or on constate que c’est très souvent la religion musulmane qui est visée. Toutes ces polémiques ont de facto contribué à éluder des questions sociales autrement plus stratégiques pour le pays comme les enjeux liés au logement, à l'emploi ou encore la recherche.

Vous avez concentré vos recherches en matière de diversité sur l'institution militaire, que pensez-vous de la diversité dans d'autres domaines de la vie sociale comme la culture et les médias par exemple ?

J’ai débuté mes recherches doctorales sur les militaires issus de l’immigration, peu après les émeutes d’octobre novembre 2005. Je trouvais intéressant de pointer le doigt sur ce phénomène très à rebours des discours dominants sur la désaffiliation des jeunes, leur désengagement ou encore leur absence d’esprit civique.

L’engagement des jeunes issus de l’immigration au sein des armées françaises est une réalité. Beaucoup de jeunes issus de quartiers très populaires défendent la France et représentent ses couleurs aux quatre coins du monde.

En ce qui concerne la diversité dans la culture et les médias, il me semble important de dissocier les deux domaines. Concernant la diversité au sein de la culture, on peut affirmer tout et son contraire.

Si on jette un rapide coup d’œil sur la composition sociologique du monde artistique, on se rend compte qu’il y a une très grande diversité d’origine sociale, ethnique spécialement dans la chanson populaire, le rap etc. Après comme le soulignait le sociologue Pierre Bourdieu il y  a des phénomènes importants de distinction.

L’accès à une certaine culture dite «élitiste» demeure difficile pour beaucoup de gens issus de quartiers populaires car leur socialisation ne les a pas familiarisés avec ses codes. Il est plus aisé de se projeter dans une carrière de comédien ou de violoniste lorsqu’on vit dans une ville qui propose ces activités culturelles.

Des exceptions existent toutefois. Ainsi la ville de Stains, en banlieue parisienne dirigée par Azzedine Taïbi fait énormément d’efforts pour sensibiliser les jeunes de tous les milieux à la musique classique ou encore au théâtre.

C’est ce processus de décloisonnement social qu’il faut encourager car la culture doit demeurer le contraire de l’assignation, elle doit être un vecteur d’ouverture au monde…

Pour ce qui est de la diversité au sein des médias, la France accusait un retard important par comparaison à d’autres pays notamment anglo-saxons. Quand Harry Roselmack, journaliste d'origine martiniquaise, arrivait en 2006 pour présenter le journal télévisé de TF1, le journaliste britannique Trevor Mac Donald né à Trinidad partait à la retraite. 

Des progrès importants ont été enregistrés. On voit aujourd’hui de nombreux présentateurs télé d’origine maghrébine, africaine ou ultramarins alors qu’ils se comptaient sur les doigts de la main il y a encore une décennie. Il faut s’en féliciter mais ne pas s’en contenter car au-delà de cette diversité formelle ou «cosmétique», il faut également s’interroger sur les contenus des programmes.

A-t-on diversifié les sensibilités c'est-à-dire les manières d’interpréter l’actualité ?  Est-ce que le fait de promouvoir des personnes aux parcours  différents a permis d’offrir d’autres grilles de lecture aux téléspectateurs ? Je n’en ai pas le sentiment. C’est donc un débat plus profond qui dépasse la simple diversité sociologique et ethnique des acteurs, même si celle-ci est évidemment importante.

Comment voyez-vous le combat pour la diversité à l'aune des nouvelles réalités politiques françaises, notamment le retour sur scène de l'ancien président Sarkozy et l'avancée des idées de l'extrême droite?

Je crois que le quinquennat de Sarkozy a contribué à cliver la nation. Le fait d’avoir réorienté la droite classique vers une vision plus communautaire de la société française, vers des débats à connotation identitaire ou encore vers un atlantisme décomplexé a été un bouleversement pour les électeurs de droite attachés à ses fondements gaullistes. Ce nouveau logiciel a profondément impacté la nature des débats publics.

On entend aujourd’hui de hauts responsables politiques tenir des propos sur les roms ou les musulmans qui auraient pu choquer il y a encore une décennie.

Ce glissement s’est réalisé de manière insidieuse et aujourd’hui on voit bien comment cette tolérance a contaminé l’ensemble du champ politique. On voit des parlementaires s’exciter pour faire des lois sur les débordements lors des mariages et d’autres faire des burqas la menace numéro 1 de la France.  On est sur de la petite politique à court-terme sans véritable vision.

Il me semble néanmoins qu’il y aura une réaction de la part d’une large partie de la droite gaulliste qui semble insatisfaite de cette tournure.

Alain Juppé en sera peut-être le fer de lance. Ce climat de fragmentation sociale a naturellement alimenté les courants d’extrême droite qui n’avaient qu’à déclarer aux électeurs potentiellement sensibles à ces arguments identitaires «mieux vaut choisir l’original que la copie». Dans ce contexte de délitement du lien social, le FN se présente comme une alternative porteuse de virginité politique.

Or contrairement à ce qu’il scande, ce parti a obtenu le pouvoir à l’échelle locale et ses expériences se sont systématiquement soldées par des affaires de corruption, un assèchement du tissu associatif et un appauvrissement global de ces villes.

D’ailleurs si leur gestion était si efficace, Dreux, Vitrolles ou Orange seraient certainement restées sous le giron de ce parti. Pour ce qui concerne la gauche en général et le PS en particulier, ce dernier a commis au moins trois erreurs stratégiques.

D’une part, contrairement aux promesses de campagne, sa politique n’a pas été perçue comme une véritable politique de gauche. La nomination de Macron, ex- banquier d’affaires, au ministère de l’Economie en est un des symboles les plus criants.

Par ailleurs, le PS n’a pas vu l’émergence d’une classe moyenne de culture musulmane composée de fonctionnaires, de cadres, d’enseignants, d’éducateurs. Son discours à l’égard des classes populaires est demeuré le même depuis les années 1980.

Ce logiciel discursif aux relents paternalistes est en décalage avec les évolutions sociologiques qui affectent sa base électorale. Enfin, la position jugée déséquilibrée de François Hollande sur le conflit israélo-palestinien laissera des marques sur le vote des quartiers populaires qui demeurent sensibles au respect du droit des Palestiniens à obtenir un Etat.

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