Il s’agit de la répression d'Etat la plus violente de l’histoire contemporaine en Europe, ont relevé des historiens qui continuent, 59 ans plus tard, de recueillir des témoignages terrifiants sur des crimes odieux, cristallisant ainsi toute l’horreur et l’atrocité du colonialisme français en Algérie.
"Ces crimes ont un nom et sont clairement désignés comme des crimes contre l’humanité, comme crimes de guerre dans d’autres cas et comme crimes d’Etat", pour reprendre les propos de l'historien et politologue français Olivier Le Cour Grandmaison.
En ce mardi 17 octobre 1961, soit une année après les sanglantes et meurtrières manifestations du 11 décembre 1960, des milliers d’Algériens étaient sortis manifester pacifiquement pour protester contre le couvre-feu discriminat oire, imposé par le tristement célèbre sanguinaire préfet de police de Paris, Maurice Papon.
Ces manifestations pacifiques étaient également organisées à l’appel lancé par la Fédération de France du Front de libération nationale (FLN) pour une grande mobilisation pacifique, suite à plusieurs cas de violence policière et de tueries contre la communauté algérienne.
Mais dans la soirée de cette sinistre journée, les rues de Paris étaient jonchées de corps d’innocents Algériens dont un grand nombre fut jeté vivants dans les eaux glaciales de la Seine, alors que d’autres ont été exécutés sommairement par balles, battus à mort ou pendus aux arbres des bois de Vincennes, en exécution des ordres de Maurice Papon, qui, lui-même, appliquait les instructions dictées par les plus hautes autorités de la France de l’époque.
En fait, cette répression avait débuté bien avant, vers le mois de septembre 1961, avec des contrôles policiers que les Algériens subissaient, assortis d’insultes, de brimades, et de rétentions de plusieurs jours, selon des historiens qui ont relevé durant cette période, plusieurs décès d’Algériens signalés et dont les cadavres étaient retrouvés sur la voie publique, selon des témoignages.
Si ces massacres avaient dévoilé à l'opinion publique mondiale le véritable visage de la France coloniale qui se vante des valeurs d'humanité et de justice, ils auront cependant mis en évidence toute la détermination des Algériens, où qu’ils se trouvent, et leur attachement à l'indépendance du pays, en portant la Révolution sur le sol de l’occupant.
Pour ce qui est des chiffres, l’Association des moudjahidine de la Fédération du FLN en France 1954-1962, a fait savoir que la chasse à l’homme sanglante, déclenchée contre les Algériens, a été accompagnée de 12 000 à 15 000 interpellations dont 3 000 envoyés en prison, tandis que 1 500 ont été refoulés vers leurs douars d’origine.
Des chiffres corroborés par des historiens, qui parlent de 300 à 400 morts par balles, par coups de crosse ou par noyade dans la Seine, de 2 400 blessés et de 400 disparus suite à une sauvage répression policière.
Une férocité qui avait fait écrire à deux historiens britanniques, Jim House et Neil Mac Master, dans "Les Algériens, la République et la terreur d`Etat" (paru en 2008), qu'il s`agit de "la répression d'Etat la plus violente qu'ait jamais provoquée une manifestation de rue en Europe occidentale dans l'histoire contemporaine".
L`historien français Jean-Louis Planche avait également affirmé que "c'est le plus grand massacre en Europe, en temps de paix, d`une population civile".
Pour la reconnaissan ce de ces crimes d’Etat par la France officielle
Ces crimes ont été tus par la France officielle pendant plusieurs années.
L'historien Jean-Luc Einaudi, décédé en 2014, avait fait remonter de la mémoire collective en France ces massacres dans son ouvrage "La Bataille de Paris", dans lequel il raconte l’histoire de "ce massacre oublié pendant des décennies, refoulé par la conscience collective, étouffé par le gouvernement".
Grâce à ses recherches, il était parvenu à dévoiler une bonne partie des dessous de ces tragiques événements, devenant le premier à divulguer une liste de 390 Algériens assassinés le 17 octobre 1961.
Dans un autre témoignage, l’historien et universitaire français Olivier Le Cour Grandmaison a estimé que ce serait une erreur de vouloir porter le chapeau à Papon seul, soulignant que les massacres du 17 octobre 1961 "doivent être reconnus par l'Etat français, responsable et coupable".
"Cela passe, entre autres, par la reconnaissance qu'un crime d'Etat a bien été perpétré en ces journées d'octobre 1961", a ajouté le co-auteur de l'ouvrage collectif, "Le 17 octobre 1961 : Un crime d'Etat à Paris".
L’ancien président français, François Hollande avait déclaré, en 2012 à la veille du 51ème anniversaire de ces massacres, que la France "reconnaît avec lucidité" la "tragédie" qu’a constitué la "répression sanglante" d’Algériens qui manifestaient pour leur droit à l`indépendance. Il s’agissait alors de la première reconnaissance officielle de la "responsabilité" de l’Etat français dans la répression d’un événement qui s’était déroulé pendant la période coloniale.
Aussi, le discours prononcé par François Hollande devant le parlement algérien lors de sa visite en Algérie en 2012 reste la seule réaction officielle de la France à ces massacres.
Toutefois, pour l'historien Gilles Manceron, il reste du travail aux historiens pour mieux comprendre comment un tel crime d’Etat a pu être commis et quelles sont les responsabilités du Premier ministre de l’époque, Michel Debré, lequel avait convoqué un Conseil interministériel pour décréter un couvre-feu contre les Algériens.
"Il faut que les archives qui concernent les plus hautes instances de l’Etat à cette période, en particulier les Conseils des ministres et le Conseil interministériel, soient accessibles", a-t-il exigé.
S’agissant de l’actuel président français, Emmanuel Macron, Le Cour Grandmaison a fait observer : "comme ses prédécesseurs, une fois installé à l’Elysée, Macron s'est bien gardé de réitérer ses dires", faisant référence aux propos tenus auparavant, lors de sa campagne électorale.
En effet, en 2017 Emmanuel M acron, s’était contenté d’un tweet en écrivant que "le 17 octobre 1961 fut le jour d'une répression violente de manifestants algériens", a commenté encore Le Cour Grandmaison.
Du côté algérien, le militant et moudjahid Mohamed Ghafir, dit Moh Clichy, un des acteurs au sein de la Fédération de France du FLN, a estimé que le 17 octobre 1961 à Paris, avait contraint le président français de l’époque, Charles de Gaulle, à retourner à la table des négociations avec le Gouvernement provisoire algérien (GPRA), ce qui avait permis de marquer des avancées considérables pour l'indépendance de l'Algérie.
Pour sa part, Ali Haroun, responsable politique à la Fédération de France du FLN, a souligné que les massacres du 17 octobre 1961, demeurent "une source de fierté pour tous les Algériens car ils représentent un précédent historique" dans la mesure où ces manifestations avaient permis de remporter la bataille contre la France en terre française".
Aujourd'hui, 59 ans après ces horribles massacres, les Algériens, notamment ceux établis en France, continuent de les évoquer et de les commémorer dans la douleur car il s’agit paradoxalement d’une tragédie et d’un crime contre l'humanité commis par une République fondée sur le triptyque "Liberté, Egalité, Fraternité".