Interview

5 questions à Djouhra Abouda (Djura) : Une voix qui porte

Publié par Entretien réalisé par Cherbal E-M le 26-01-2016, 18h22 | 1277
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A la tête du célèbre groupe de chants berbères Djurdjura, depuis sa fondation en 1979, Djouhra Abouda, plus connu sous le nom de Djura, continue d’entretenir la flamme de ce combat pour l’affirmation des origines et de l’identité par la chanson, en usant d’une voix aussi mélodieuse qu’envoûtante. Elle a bien voulu répondre aux questions de notre correspondant à Paris.

 

Dk News : Vous venez de participer à un hommage à Cheikh El Hasnaoui. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Djura : Cheikh El Hasnaoui fait partie de notre patrimoine, c'est une figure illustre de notre culture... Il était le reflet de toute une époque, notamment celle des immigrés algériens de la première heure, en majorité kabyles, et des chanteurs de l'exil, tout comme Slimane Azem... Ils sont pour moi les pères de la chanson kabyle, nos pairs et nos repères... Slimane Azem était une sorte de Brassens à sa manière, un Jean de la Fontaine, qui a dérangé, mais qui a laissé son empreinte. Ils représentent une source d'inspiration inépuisable pour beaucoup d'artistes. Ils ont su par leur poésie et leur chant transmettre les souffrances de l'exil, la nostalgie du pays, l'amour de la terre , les cruautés de la guerre, la résistance, l'esprit de la satire et parfois, l'éloge de la femme...

Ces chants se sont propagés à travers plusieurs générations grâce à la tradition orale et c'est ainsi que j'ai grandi avec eux, comme beaucoup, en écoutant, ce «blues kabyle» dans nos foyers....

Pour moi, ces chanteurs, poètes, musiciens, penseurs, philosophes kabyles qu'étaient Cheikh El Hasnaoui, Chérif Kheddam, Slimane Azem, Matoub Lounes... et qui nous ont quittés, sont des trésors, des puits de connaissance pour notre culture, et resteront pour toujours gravés dans nos coeurs et dans nos mémoires.

J’ai été particulièrement honorée de participer à cet hommage rendu à ce grand maître, qui a pu rassembler tous les artistes autour de son œuvre.

 

Vous gardez le même enthousiasme pour le chant et l’expression artistique, comme vecteur de l’identité. Le combat continue ?

L'expression artistique a toujours été mon moteur pour exister, et l'Art, d'une manière générale, a donné un sens à ma vie. C’est une source de créativité, et d'équilibre pour moi.

Depuis mon plus jeune âge j'ai été attirée par l'expression artistique.

Déjà, à l'école primaire, j’étais souvent choisie pour être soliste dans les chorales en cours de musique...

A l'adolescence j'ai fait l'école des enfants du spectacle à Paris où j'ai appris la danse classique, le chant et surtout le théâtre, car amoureuse des auteurs et des textes, j'aspirais avant tout à devenir metteur en scène.

Puis cette vocation fut contrariée par mon père qui refusa catégoriquement la proposition d'un rôle principal pour un feuilleton à la télévision qui devait pourtant faire le tour du monde... Après de nombreux déboires sur le plan familial, j'ai choisi d'être de l'autre côté de la caméra et c'est ainsi que j'ai réalisé un premier long métrage sur la condition des travailleurs immigrés en France : «Ali au pays des merveilles», acquis par les cinémathèques algérienne et française.

La suite, c'est presque la nécessité qui m'a obligée... Je voulais trouver un moyen d'expression à la fois fort et rapide pour toucher le plus grand nombre sur ce qui était ma priorité : véhiculer un message pour la cause des femmes, l’immigration, la jeunesse, l’Amazighité, la modernité, l'évolution des mentalités et tous les thèmes qui en découlent et qui font de moi celle que je suis et ma raison d’être. “Une rebelle”.

Je voulais aussi aborder la musique kabyle avec toutes les influences qui m'ont nourrie et qui correspondent à une esthétique et un langage universel. C’est ce qui a déclenché chez moi le désir de fonder le premier groupe féminin et féministe de World Music berbère : Djurdjura.

Comme dans l'alchimiste de Paolo Cuello, il y avait «lePrincipe favorable».

C'était comme un puzzle qui se mettait en place, logiquement, harmonieusement et de manière cohérente.

Djurdjura, c'était les montagnes qui m'ont vue naître, le berceau de la Révolution algérienne, nous étions les héritières de cette révolution. J'ai dit : Djurdjura, j'écris ton nom...

J'avais opté comme tenue de scène pour la fouta traditionnelle kabyle rouge et or, mes couleurs fétiches : le rouge pour l'énergie, le sang, qui a été versé par nos parents et qui coule dans nos veines, le combat pour la vie. Et l'or pour l'astre des astres, le côté solaire, la lumière et tout ce qu'elle représente au plan philosophique, universel, humain, etc.

La fouta était aussi le symbole du travail au féminin. C'était l'essuie-mains des femmes kabyles porté par nos mères, nos grands-mères, nos arrière-grands- mères et qui est toujours d'actualité. Il représente pour moi la force de travail de toute une population qui sont les femmes des sociétés rurales et dont le travail n'est pas reconnu à sa juste valeur. Nous le portions donc avec fierté, comme un drapeau qui ne me quitte jamais jusqu'à aujourd’hui...

Les thèmes de prédilection que je voulais porter haut et fort étaient ceux qui faisaient notre quotidien: la scolarité pour les filles, le mariage forcé, la soumission, le patriarcat, la jeunesse comme espoir dans l'avenir, la place de la Femme dans la société, la beauté kabyle, l'amour de la terre, la nostalgie mais aussi l'immigration, le racisme, les discriminations, l'identité, la reconnaissance de la langue amazighe sur fond de message de paix, de liberté, de fraternité, un langage universel d'amour et d'amitié porté par des femmes, sans être donneur de leçons.

Nous avons eu la chance dans cette fusion musicale entre tradition et modernité de travailler avec des musiciens de renom, et le succès a été immédiat.

Après... la vie s'est écoulée avec son lot de bonheurs, de souffrances, de joies et de peines , de désillusions, de rupture, d'espoir et je me suis mise à l'écriture. J'ai donc publié 2 livres : «Le voile du silence» et «La saison des narcisses» qui sont le reflet de mon vécu.

Tout cela fait de moi celle qu'on appelle "La femme aux mille combats" et en effet je continue ce combat à travers plusieurs disciplines pour toutes les valeurs que je défends et qui n'ont pas changé depuis le début de ma carrière artistique.

 

Pensez-vous que la Légion d’honneur qui a vous a été décernée est une marque de reconnaissance pour vos efforts au bénéfice de l’intégration ?

Je ne pense pas que la Légion d'honneur m'a été décernée en signe de reconnaissance pour les efforts que j'aurais fait au bénéfice de l'intégration. L'intégration étant un mot très galvaudé... Je pense qu'étant la première femme réalisatrice de cinéma «d'origine immigrée», la première à avoir créé un groupe de femmes féministes de World Music berbère, la première à avoir écrit un best-seller sur la violence faite aux femmes et la liberté, ont été des facteurs plus déterminants.

Cet insigne est la reconnaissance de tout un travail accompli depuis plus de 30 ans pour donner une belle image de la Femme, de l'immigration, du combat que je mène dans les quartiers auprès d'une jeunesse laissée pour compte, stigmatisée et que j'ai voulu anoblir à travers mon travail artistique. Il récompense aussi le message universel pour la Liberté que j'ai diffusé à travers le monde. Le Président de la République française a commencé son discours par ces mots : Madame : Vous - êtes - la - Liberté.

 

Que devient le groupe Djurdjura ?

Le groupe Djurdjura continue son chemin Il est toujours composé de 3 chanteuses dont je suis la fondatrice et le leader.

Notre dernier album porte un titre évocateur : UNI -VERS-ELLES. Nous travaillons actuellement pour la sortie d'un Best Of revisité et résolument moderne en gardant bien évidemment notre authenticité.

Une salle parisienne est prévue pour la sortie de cet album suivie d'une grande tournée.

 

Avez-vous des projets culturels avec l’Algérie ?

Les projets culturels avec l'Algerie ne sont pas nettement définis. Après une tournée cet été avec le groupe, mon souhait serait de pouvoir élargir notre audience en parcourant l'ensemble de l’Algerie...

Maintenant que la langue amazighe est reconnue nationale et officielle, il me semble que nous avons une place légitime à occuper, et quoi de mieux que la culture pour faire la promotion de l'Amazighité!

 

Entretien réalisé par Cherbal E-M

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