Histoire

Un criminel nommé Achiary

Publié par Par Amar Belkhodja (*) le 07-06-2014, 17h36 | 767
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Licencié en droit, sportif accompli mais en même temps consommateur d’opium (ou de cocaïne), gaulliste notoire d’origine politique socialiste - comme un certain Marcel-Edmond Naegelen - André Achiary joue en rôle actif dans le débarquement des Alliés à Alger le 8 novembre 1942. Ce rôle il le doit à son appartenance au service de contre-espionnage en qualité de commissaire de la défense du territoire (future DST).

Il aura droit d’ailleurs à une décoration de la médaille de la résistance que lui accrochera Charles de Gaulle lui-même le 11 novembre 1943 après avoir été décoré de la Croix de guerre par le général Giraud le 8 novembre de la même année.  

C’est grâce à quoi Achiary va figurer, à cette époque, parmi les personnages les plus en vue. C’est de Gaulle lui-même qui s’annoncera comme son protecteur. On raconte qu’il était vraisemblable que ce dernier «l’a soutenu en mai 1945 après ses initiatives ‘brutales ‘ de Guelma». (Jean-Louis Planche -   Sétif 1945 -p.489- Perrin- 2006).

Deux actes aideraient à soutenir cette affirmation. Le premier, c’est le fameux télégramme provenant du général de Gaulle ordonnant de rétablir l’ordre «par n’importante quel moyen». C’est en quelque sorte «le feu vert» accordé au nouveau sous-préfet de Guelma d’aller vite en besogne pour écraser la «rébellion» qui semblait hanter les esprits, avec une stupéfiante exagération dans les effectifs et son armement fictif. Tout cela pour justifier la répression. 

Le deuxième indice, probant et assez convainquant, c’est la suspension de l’enquête de la commission Tubert par de Gaulle lui-même, au moment même où les enquêteurs s’apprêtaient à rejoindre Guelma. Comment de Gaulle aurait-il accepté de désavouer son protégé, celui-là même qu’il avait décoré deux ans auparavant. De Gaulle, en donnant l’ordre de laisser faire, c’est-dire laisser commettre des crimes contre des innocents et des populations sans armes. Que pouvait-il faire sinon taire les crimes et protéger les criminels. 

 commission aura vécu. Et comme par hasard, ce hasard qui fait bien et mal les choses, nous retrouvons le général donneur d’ordres et le sous-préfet criminel, nous les retrouvons tous les deux pendant la guerre d’Algérie. Achiary fera poser en 1956 une bombe dans une de la Casbah d’Alger, tuant des femmes, des enfants et des hommes dans leur sommeil. Charles de Gaulle viendra lui aussi au pouvoir en 1958 décidé à mater la rébellion en innovant les opérations militaires gigantesques qui rappelleront les «colonnes infernales» (Mostefa Lacheraf) du général Bugeaud. 

D’origine basque, André Achiary est né à Tarbes le 10 juillet 1909. Enfant, il séjournera en Kabylie puis à Alger comme étudiant. Un séjour profitable du plan linguistique puisqu’il apprendra à parler en kabyle et en arabe. Apparemment, il se prédestine comme agent dans les services répressifs coloniaux puisqu’en en 1935 il est nommé, après concours, commissaire de sûreté à Alger. Porté sur l’action et la clandestinité, il devient en 1938, chef de la brigade de surveillance du territoire à Alger.

En 1940, il rejoint la résistance française après avoir servi sous le régime de Vichy en faisant la chasse aux communistes. «Dans son métier, Achiary fait preuve d’une violence souvent inutile, parfois mortelle. Des communistes qu’il n’aime pas, des amis, des gaullistes en font les frais. Certains dans le service s’en alarment, mais en temps de guerre et de confusion politique, ce qui peut se passer pour une répétition d’accident ne laisse gère de traces». (Jean-Louis Planche - p. 122).

Evaluant les forces militaires françaises présentes en Algérie, à la veille du drame, Anni Rey-Goldzeiguer, évoquant le corps policier, nous affranchit sur le rôle d’André Achiary sous le régime de Vichy : «Les villes importantes disposent en outre d’une police d’Etat dont le rôle a été prépondérant pendant l’intermède de Vichy (Achiary est originaire de ce corps qui, après la chasse aux communistes et au gaullistes, a continué par celle des nationalistes)». (A. Rey-Goldzeiguer - Aux origines de la guerre d’Algérie - p.299 - Casbah Editions - 2002). 

En rappelant aussi les méthodes expéditives du sous-préfet de Guelma qui «inaugure son poste dans des conditions difficiles, sans état d’âme, bien décidé à résoudre comme à son habitude les problèmes par la force, voir la violence : n’est-il pas accusé de torture sur une femme prisonnière communiste sous Vichy ?» (A. Rey-Goldzeiguer -p.287). L’auteure rapporte également :

«Les communistes (…) avaient été décimés par la police maréchaliste. Arrêtés, pour la plupart soumis à des conditions d’internement particulièrement rigoureuses, plusieurs étaient morts d’épuisement ou de maladie. Les autres avaient été condamnés à de lourdes peines - dont des condamnations à mort -, après des tortures souvent menées par Achiary lui-même». A. Rey Goldzeiguer - p. 154).

Personnage obscur, ambitieux et opportuniste, Achiary a été mêlé dans l’affaire de l’assassinat de l’amiral Darlan en décembre 1942. Arrêté et incarcéré à Laghouat, il est ensuite innocenté et libéré. En 1945, c’est Jacques Soustelle, directeur des services spéciaux à Paris, qui prend en charge Achiary dans son cabinet Il ne reste pas longtemps chez ce futur jusqu’au-boutiste de l’Algérie française.

Mais c’est  sur recommandation de son patron Jacques Soustelle, qu’André Achiary, à 36 ans, est nommé le 21 mars 1945 en qualité de sous-préfet de Guelma, à moins de deux mois du drame qui frappera la ville de Fatma-Zohra Reggui et la paysanne de toute la région.

Quelques jours avant son arrivée à Guelma, la ville est sujette à des troubles. Les jeunes recrues, comme un peu partout dans le pays, s’opposent à la conscription et, bruyamment, scandent des slogans pro-Messali et hostiles au docteur Smaïl Lakhdari, psychiatre de son état et adversaire viscéral des nationalistes algériens. Les autorités françaises, comme à l’accoutumée, répriment et expulsent dans le sud un  vieux militant PPA, Amar Boudjerida, pourtant absent le jour des événements.

Le nouveau sous-préfet et par voie de conséquence affranchit qu’il se trouve dans un bastion du nationalisme algérien. Alors, il a tout l’air de se frotter les mains pour montrer et démontrer aux guelmois de quel bois il se chauffe. Ainsi, la région va vivre une atmosphère assez pesante, amplifiée par la phobie d’un soulèvement qu’il faudra savoir affronter et neutraliser.

Pourtant la paix est à quelques encablures seulement. Elle se termine en terre européenne pour se poursuivre en Algérie. Pour avoir capitulé devant l’hitlérisme (juin 1940), il fallait bien pour ceux qui ratent les rendez-vous avec l’histoire, de prouver un autre héroïsme. A moindre frais, celui-là, puisque qu’en face il n’y avait que des nationalistes sans armes et des paysans sans moyens et sans organisation.

 des solutions expéditives, sentiment raciste aidant, le nouveau sous-préfet annonce d’ores et déjà la couleur et profère des menaces - en arabe - contre les militants AML de Guelma dès les premiers jours de mai 1945 qui, l’a-t-on informé, se préparaient eux aussi à commémorer pacifiquement la fête de la victoire sur l’hitlérisme. Violent par le verbe, les intimidations et le mépris, il laisse entendre qu’il ne tolérerait aucune initiative en dehors de son autorité, sa seule et indiscutable autorité. «Je suis comme le lait, leur dit-il, si on me chauffe je déborde». (R. Vétillard - Sétif Mai 1945 - Ed. de Paris - 2008).

Cependant les algériens sont décider d’organiser leur propre défilé, loin de leur esprit que cette initiative logique et aux intentions pacifiques, allait entraîner une répression des plus violentes. Achiary n’était pas l’homme à accepter les défis. Le 7 mai 1945, il convoque à nouveau une délégation algérienne pour proférer encore une fois des menaces, en soutenant qu’il était hors de question pour les habitants algériens de fêter le jour de la victoire séparément : «Vous ne pouvez pas faire une marche autonome, elle doit se faire sous le drapeau français et avec les français», leur assène-t-il. (R. Vétillard - p. 101).

Les événements vont s’accélérer ; annonciateurs de l’un des plus grands drames que vivra le peuple algérien.Le 8 mai 1945, les Guelmois organisent leur propre marche. Il est 18h 30 quand ils se dirigent, drapeau algérien déployé, vers le monument. Achiary, flanqué de notables français et de policiers tente de stopper la marche et faire disperser les manifestants qui continuent de plus belle de scander les slogans nationalistes, entonner des chants patriotiques. C’est presque la mêlée. C’est Fauqueaux, un communiste de la localité qui mit le feu aux poudres ou forme la goutte qui fit déborder le vase. 

Il invite directement le sous-préfet à user de la force. Quand un drapeau algérien surgit aux premiers rangs, sous ses yeux, Achiary  stupéfait arrête le cortège. Presque inaudible, il menace. Le président des anciens combattants, selon les uns, une jeune institutrice, selon les autres, se serait exclamé : «Qui commande ici ?». Comme sous un coup de fouet, Achiary saisit le révolver dont il s’est armé, entre dans la foule droit sur le porte-drapeau, reçoit des coups, les rend, tire.

Son escorte ouvre le feu sur le cortège qui s’enfuit, découvrant dans son reflux le corps de Boumaâza, riche maquignon, secrétaire du comité AML de Millésimo, en banlieue». (Jean-Louis Planche - p. 148). D’autres témoignages affirment quant à eux que des coups de feu furent tirés à partir des maisons d’Européens dès les premiers moments sur les manifestants : «C’est alors que des coups de feu furent tirés des maisons sur les manifestants. On n’a pas relevé ce détail important, des civils Européens qui, les premiers ont tiré directement sur la foule des musulmans. La rumeur publique accuse un coiffeur israélite et un cafetier corse d’avoir été les instigateurs de cette première fusillade». (Marcel Reggui -p.79).

C’est pratiquement «le coup d’envoi» d’une répression impitoyable que va organiser et diriger André Achiary contre la population guelmoise. Il ferme les cafés et les magasins, interdit les attroupements et la circulation, poste l’armée aux carrefours et décrète le couvre-feu à partir de 21h 30. La guerre est désormais déclarée contre une population civile désarmée. Ce qui est vrai, c’est qu’il n’y eut ni le 8 mai ni les jours qui suivirent des agressions contre la population européenne de la ville.

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